1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

INTRODUCTION

Il paraîtra très paradoxal d'accorder une grande importance à l'observation dans cette partie des sciences mathématiques qu'on appelle généralement les mathématiques pures, puisqu'on estime couramment que l'observation concerne seulement les objets qui impressionnent les sens. Puisque nous devons rattacher les nombres à l'intellect pur, nous avons peine à comprendre comment des observations et des quasi-expériences peuvent être de quelque utilité dans l'étude de leur nature. Et pourtant, en fait, comme je le montrerai ici par des arguments très sûrs, les propriétés des nombres, connues aujourd'hui, ont été découvertes principalement par l'observation et elles l'ont été bien longtemps avant d'être confirmées par des démonstrations rigoureuses. Nombreuses sont même les propriétés des nombres qui nous sont familières mais que nous ne sommes pas encore capables de prouver; seule l'observation nous a conduit à les connaître. Ainsi voyons-nous que dans la théorie des nombres, théorie encore très imparfaite, nous pouvons fonder sur l'observation les espoirs les plus grands; elle nous conduira à de nouvelles propriétés que nous entreprendrons de prouver par la suite. Cette sorte de connaissance qui s'appuie seulement sur l'observation et dont la validité n'est pas encore confirmée, doit être soigneusement distinguée de la vérité; on dit habituellement qu'on l'atteint par induction. Néanmoins nous avons rencontré des cas la simple induction conduisait à l'erreur. Aussi devons nous avoir grand soin de ne pas accepter comme vraies des propriétés des nombres que nous avons découvertes par observation et qui s'appuient sur l'induction seule. Nous devons voir là l'occasion d'étudier de façon plus précise les propriétés découvertes, de les prouver ou de les réfuter; dans les deux cas nous apprendrons certainement quelque chose d'utile.

Euler 1

(1707-1783)

IMAGE imgs/Introduction01.gif
1Euler, Opera Omnia, 1ère série, vol. 2, p. 459, Specimen de usu observationum in mathesi pura.